89.
C’était donc lui le caïd. Monserrat.
Hudson n’arrivait pas à admettre la véracité de ce qu’il voyait.
Monserrat ?… Ou était-ce encore une manipulation ? Une autre ruse ? La tromperie portée à son paroxysme ?
De la fumée s’insinua dans son cerveau, obscurcissant sa vision, brouillant son jugement. Sa tension se raviva également ; il ressentait des picotements électriques au bout de ses doigts, dans son bras, dans ses jambes.
Il regarda l’homme en costume sombre s’avancer vers lui. Il nota la présence d’hommes armés, dans l’ombre, contre le mur du fond.
— Colonel Hudson. (La poignée de main fut rapide et franche.) Je suis François Monserrat. Le vrai, cette fois.
Un sourire apparut au coin des lèvres du terroriste. David Hudson n’avait jamais rencontré quiconque dégageant une telle assurance.
Le léger sourire de Monserrat disparut.
— Passons aux affaires. Je crois que nous pouvons conclure cette transaction rondement. Vérifie le contenu des valises, Marcel. Rapidement[24] !
Répondant à l’injonction de Monserrat, un autre individu en costume pénétra dans la pièce. C’était un homme d’une soixantaine d’années, qui avait le teint pâle et la vue basse de ceux qui passent la plus grande partie de leur vie à regarder dans des microscopes ou à travers des loupes. Il se pencha pour examiner les actions que Hudson avait apportées.
Hudson l’observa attentivement, tandis qu’il frottait délicatement les titres un par un entre son pouce et son index, contrôlant leur texture avec minutie.
Puis il huma quelques documents choisis, cherchant à y déceler une éventuelle odeur d’encre fraîche ou des senteurs anormalement fortes – quoi que ce soit qui eût révélé une impression récente.
Chaque minute s’écoulait avec une lenteur insoutenable.
— La majeure partie des titres est authentique, déclara-t-il enfin à Monserrat en relevant la tête.
— Un problème particulier ?
— J’ai un léger doute concernant ceux de la Morgan Guaranty, voire le petit lot de Lehman Brothers. Il est possible que certains soient faux. Mais, ajouta-t-il, comme vous le savez, il y a toujours des contrefaçons. Le reste est en règle.
François Monserrat lui décocha un bref signe de tête. Il semblait moins à l’aise, tout à coup. Il prit un téléphone noir posé sur la table, composa un numéro, donna un code à quatre chiffres puis s’adressa à quelqu’un, manifestement une opératrice à l’étranger. Quelques secondes plus tard, le terroriste s’entretenait directement avec une personne qu’il semblait connaître dans une banque suisse de Genève.
— Mon numéro de compte est 411FA. Veuillez procéder au transfert convenu sur le compte…
Moins de quatre minutes plus tard, Monserrat raccrocha.
Peu après, le téléphone sonna et Hudson reçut la confirmation que le virement avait effectivement été effectué en Europe. Plus de deux cents millions de dollars avaient été virés des comptes des Soviétiques sur ceux ouverts pour les vétérans à Londres, Paris, Amsterdam et Madrid. Vétéran 28, Thomas O’Neil, le chef de la douane à l’aéroport de Shannon, avait cette fois encore mené à bien sa mission. Le plan de Green Band était incontestablement parfait.
— Colonel, je crois que notre affaire est réglée. Vous avez visiblement gagné chaque round de ce match. Je vous félicite.
Monserrat exécuta une courbette révérencieuse.
Hudson se leva de la table et réalisa qu’un poids terrible avait enfin été ôté de sa poitrine. Il se sentait libéré d’une obsession qui l’avait tenaillé pendant près de quinze ans.
À ce moment précis, il effectuait mentalement un décompte qui se rapprochait rapidement du zéro.
L’œuvre de Green Band était presque achevée.
Presque, mais pas tout à fait.
Plus qu’un dernier petit coup de théâtre, une ultime surprise.
La tromperie. Dans toute sa splendeur.